Depuis août, l’ancien responsable pénitentiaire iranien Hamid Noury est officiellement jugé à Stockholm. La procédure ne devrait pas se terminer avant avril prochain, date à laquelle le tribunal aura entendu des dizaines d’anciens prisonniers politiques iraniens qui ont été témoins des actions de Noury à la prison de Gohardacht avant et pendant le terrible massacre des prisonniers politiques qui a fait 30 000 morts au cours de l’été 1988 en Iran.
Noury a été arrêté en 2019 après son arrivée en Suède pour une visite. Le mandat a été délivré sur la base du principe de compétence universelle, qui permet à toute nation de juger unilatéralement des violations graves du droit international, même lorsque le crime en question a eu lieu bien au-delà de ses frontières.
Le régime a longtemps tenté de justifier le massacre en faisant référence à l’opération Lumière Eternelle, une offensive menée par les forces de L’ANLI et l’Organisation des Moudjahidine du peuple d’Iran (OMPI) dans le but de rallier l’opposition nationale au régime iranien. Cependant, comme l’ont expliqué de nombreux témoins dans l’affaire Noury et de nombreux autres anciens prisonniers politiques, il y avait des signes clairs d’un massacre imminent des mois avant l’opération. En effet, la fatwa du fondateur du régime, Rouhollah Khomeini, ne mentionnait aucune opération en particulier, mais qualifiait plutôt l’OMPI de mohareb ou « en guerre contre Dieu ».
« Quand ils nous ont amenés à Gohardacht, une nouvelle période a commencé qui a finalement conduit au massacre de 1988 », a déclaré mardi Reza Falahi, ancien prisonnier politique et partisan de l’OMPI, lors du procès de Noury. « Ils nous ont progressivement privés de toutes les moyens et imposé plus de restrictions, y compris les rassemblements, les sports de groupe et les objets que nous avions créés nous-mêmes. La qualité et la quantité des aliments se sont dégradées. Ils ont emporté toutes les télévisions des salles. Il était clair qu’ils préparaient quelque chose », a-t-il ajouté.
La fatwa de Khomeiny avait déclaré qu’il serait « naïf de faire preuve de miséricorde » envers les prisonniers, et des lettres explicatives ultérieures contenaient des ordres tels que « Anéantissez immédiatement les ennemis de l’Islam ». Lors de conférences coïncidant avec le début du procès Noury et l’investiture d’Ebrahim Raisi comme nouveau président du régime iranien, plusieurs juristes ont souligné ce genre de langage comme preuve que le massacre de 1988 constitue un acte de génocide visant à détruire des communautés entières sur la base de leur foi car elles s’opposent au fondamentalisme théocratique des mollahs.
Geoffrey Robertson, un avocat britannique spécialisé dans les droits de l’homme, a souligné que la Convention sur le génocide oblige les États ayant ratifiés la convention à prendre des mesures là où des violations sont soupçonnées d’avoir eu lieu. Ainsi, Raïssi devrait être poursuivi, car il a joué un rôle important dans l’ensemble du massacre en tant que membre de la « commission de la mort » de Téhéran. Il a supervisé la mise en œuvre de la fatwa de Khomeiny dans les prisons d’Evine et de Gohardasht.
Iran : Des témoignages choquants
Des membres de la communauté iranienne et des partisans de l’OMPI en Suède se sont réunis à l’extérieur de chacune des plus de 30 séances de ce procès jusqu’à présent, appelant à la justice et à la poursuite de criminels tels que Raïssi. La Résistance iranienne a également organisé une conférence à Stockholm en septembre coïncidant avec la diffusion du discours de Raïssi à l’Assemblée générale des Nations Unies.
L’événement a servi à condamner l’apparente reconnaissance internationale pour une administration étroitement associée au terrorisme et aux crimes contre l’humanité en Iran, et à donner un débouché supplémentaire aux témoignage d’anciens prisonniers politiques, y compris ceux qui s’étaient exprimés lors du procès de Noury.
Les témoignages, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du tribunal, étaient choquants. Parmi eux figurent des cas où plusieurs frères et sœurs ou des familles entières ont été décimées à la demande des commissions de la mort, et des histoires de survivants intimidés et réduits au silence chaque fois qu’ils cherchaient à parler des meurtres ou à organiser des commémorations pour leurs proches ou à se renseigner sur les fosses communes.
A Gohardasht, plusieurs survivants ont estimé qu’il ne restait qu’environ 150 individus en septembre 1988, sur une population initiale de milliers.
Mardi, lorsque le procureur a demandé à Fallahi ce qui était arrivé aux prisonniers qu’il avait vus dans le couloir de la mort avant de se rendre à la commission de la mort, il a déclaré : « Je n’ai plus jamais revu aucun de ces prisonniers. Ils ont tous été exécutés pendant le massacre. J’ai contacté de nombreuses familles et elles m’ont dit qu’elles avaient été informées qu’elles avaient été exécutées. Ils ont reçu l’ordre de ne pas organiser de cérémonie pour leurs proches. »
Bon nombre des 30 000 victimes ont été enterrées dans des fosses communes secrètes dans le cadre des vastes efforts déployés par le régime pour obscurcir les détails et l’ampleur du massacre.
Des estimations prudentes sur le massacre en Iran
L’estimation sur le nombre total de morts est une estimation prudente et elle est uniquement basée sur les témoignages oculaires dans les établissements où une poignée de prisonniers politiques restaient à la fin. Dans d’autres établissements, des salles entières ont été vidées et les détenus ont été rapidement transportés dans des fosses communes. Par conséquent, les détails précis doivent encore être déterminés, et dans certains cas, ils peuvent ne jamais être déterminés parce que les efforts de Téhéran pour masquer son pire crime n’ont jamais cessé.
À plusieurs reprises ces dernières années, Amnesty International et d’autres groupes de défense des droits humains ont mis en évidence la pratique du régime consistant à ordonner des projets de construction routières ou autres sur le site des charniers, afin de rendre les enquêtes futures plus difficiles.
Des déclarations à cet effet soulignent l’urgence de former une commission d’enquête des Nations Unies visant à dresser un tableau complet du massacre de 1988 et à exiger des comptes de ses auteurs.
À ce jour, Hamid Noury est le seul responsable impliqué dans ce massacre à en subir les conséquences partout dans le monde.
L’Assemblée générale des Nations Unies n’a jamais donné suite de manière significative après avoir fait référence à une recrudescence des exécutions à motivation politique dans sa résolution de décembre 1988 sur les droits de l’homme en Iran.
Le sentiment d’impunité qui en a résulté parmi les responsables iraniens a probablement contribué à alimenter la décision d’installer l’un des principaux auteurs du massacre au poste de président, après avoir récemment participé à la répression des manifestations pacifiques de novembre 2019 qui a tué 1 500 autres manifestants.
La condamnation de Noury représente une réponse attendu depuis longtemps à cette impunité, mais elles ne suffisent certainement pas à elles seules. Que ce soit par une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU ou par l’application unilatérale du principe de compétence universelle, la communauté internationale doit se résoudre à s’en prendre aux responsables du régime tels que Raïssi, afin d’indiquer clairement que les violations des droits de l’homme et les crimes contre l’humanité ne seront plus être toléré.
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