Dans une interview accordée lundi à Reuters, Javaid Rehman, Rapporteur spécial des Nations unies sur la situation des droits de l’Homme en Iran, a exhorté le Conseil des droits de l’Homme et les autres organes compétents à lancer une enquête officielle sur un crime contre l’humanité passé sous silence, perpétré par les autorités iraniennes il y a plus de 30 ans. Ses derniers propos sur le sujet interviennent plusieurs mois après que M. Rehman et plusieurs autres experts des droits de l’Homme des Nations unies ont envoyé une lettre au régime iranien pour lui demander de cesser de dissimuler l’incident et souligner que si Téhéran ne tenait pas ses propres autorités pour responsables, la responsabilité en incomberait à la communauté internationale.
M. Rehman a fait mention à cette lettre dans sa récente interview, soulignant qu’elle était motivée en grande partie par « des inquiétudes quant à la poursuite d’une politique visant à détruire les preuves de l’existence de fosses communes« . Les fosses en question pourraient contenir les restes de plus de 30 000 personnes, toutes tuées en l’espace de quelques mois seulement en 1988. Cet été-là, des groupes de responsables de l’appareil judiciaire et des services de renseignements, appelés « commissions de la mort« , ont interrogé des prisonniers politiques dans tout l’Iran et ont ordonné l’exécution sommaire de tous ceux qui n’affichaient pas une allégence au système théocratique. Nombre d’entre eux ont été envoyés à la potence après des « procès » de quelques minutes seulement, au cours desquels ils ont refusé de renier leur soutien au principal groupe d’opposition pro-démocratique, l’Organisation des Moudjahidine du Peuple d’Iran (OMPI).
Le rapport de Reuters indique que, dans une déclaration, le mouvement de Justice pour les victimes du massacre de 1988 en Iran a salué l’appel de Rehman, affirmant qu’une enquête de l’ONU sur les exécutions extrajudiciaires était « attendue depuis longtemps« .
Il est très significatif que l’OMPI ait été la cible principale du massacre de 1988, d’autant plus que les auteurs de ce massacre ont définitivement échoué dans leur objectif d’annihiler l’opposition organisée contre le régime théocratique. Alors qu’il était en cours, le massacre était un signe évident de la mesure dans laquelle les autorités iraniennes se sentaient menacées par cette opposition. Depuis lors, il a servi de rappel permanent des profondeurs auxquelles ces autorités sont prêtes à s’abaisser lorsqu’elles tentent de réprimer la dissidence.
Le massacre a été ordonné par une fatwa du fondateur du régime, Ruhollah Khomeini, qui déclarait que l’OMPI et les groupes affiliés étaient coupables d' »inimitié envers Dieu » et devaient donc être tués.
La menace de représailles similaires n’a fait que s’intensifier ces dernières années, alors que Téhéran s’est efforcé de rétablir l’ordre à la suite de multiples soulèvements généralisés qui ont démontré l’étendue de l’influence sociale de l’OMPI.
Dans son interview de lundi, Javaid Rehman a souligné le rôle qu’Ebrahim Raïssi aurait joué dans le massacre de 1988 et dans la répression de 2019, qui a eu lieu après sa nomination à la tête du pouvoir judiciaire par le Guide Suprême du régime, Ali Khamenei. Cette nomination a semblé dégager la voie pour que Raïssi se présente effectivement sans opposition lors de la campagne présidentielle de juin en Iran. Sa victoire a été confirmée le 18 juin, et les critiques ont rapidement commencé à mettre en garde contre la possibilité que le bilan de l’Iran en matière de droits Humains s’aggrave encore sous l’ère Raïssi.
Rehman a indiqué à juste titre que le statut de Raïssi en tant que président élu augmente considérablement l’urgence d’une enquête internationale sur son rôle dans les crimes contre l’humanité, tant historiques que récents. Le CNRI est allé plus loin en soulignant la nécessité de sanctions multilatérales, d’un isolement diplomatique et d’autres mesures énergiques pour dissuader les autorités iraniennes d’intensifier leur répression de la dissidence.
Ce message sera sans doute réitéré devant un public international entre le 10 et le 12 juillet, lors du rassemblement annuel d’expatriés iraniens retransmis en direct, le « Sommet Iran Libre« . Cet événement devrait permettre de relier des dizaines de milliers de militants expatriés par le biais de plusieurs rassemblements simultanés. Des centaines de dignitaires et de législateurs européens et américains prononceront également des discours.
L’événement comprendra certainement des témoignages de survivants du massacre de 1988 et de familles de victimes, et présentera des preuves évidentes de l’implication de haut niveau de Raïssi dans les procès grotesques et les condamnations à mort qui en ont résulté dans la capitale du pays.
Des enquêtes en bonne et due forme aideront certainement à lutter contre la culture d’impunité du régime iranien concernant ce crime et d’autres crimes contre l’humanité. Mais pour empêcher l’escalade des violations des droits Humains, les puissances occidentales et les Nations unies devront déployer des efforts concertés pour devancer le désespoir croissant du régime face aux soulèvements organisés et généralisés.
Si Raïssi n’a toujours pas à répondre du massacre de 1988 lorsqu’il prendra ses fonctions en août, il est facile d’imaginer que le régime sera encouragé à poursuivre la répression de l’opposition et de la population dans le pays et à mener des activités plus malignes à l’étranger.
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