Le Matin D'Algerie 29-09-2017
Alors que l’ONU se penche de plus en plus sur l’impunité
qui frappe en Iran un des plus grands massacres dans les prisons depuis la
Seconde guerre mondiale, je suis consternée par la nomination par le président
des mollahs Hassan Rohani d’un personnage impliqué directement dans le massacre
des prisonniers en 1988, comme ministre de la Justice. Alireza Avaï avait été
dénoncé par les ONG dans les exécutions à la ville de Dezful.
Cela fait 29 ans que mon père cherche la tombe de son
fils, comme les parents de 30.000 autres victimes de ce crime contre l’humanité
commis par les mollahs en Iran sur ordre de Khomeiny durant l’été 1988.
Ancienne détenue d’opinion, je compte au nombre des
familles qui ont perdu un être cher dans le massacre des prisonniers politiques
de 1988 en Iran. Mon frère cadet Ahmad Raouf-Bachari-Doust n’avait que 16 ans,
en 1982, quand il a été arrêté chez nous dans un raid des gardiens de la
révolution, pour avoir participé à des meetings des Moudjahidine du peuple
d’Iran (OMPI), l’opposition démocratique aux mollahs. Vers la fin de 1982,
après de nombreux interrogatoires sous la torture, il avait été condamné à cinq
ans de prison et incarcéré à la prison de Racht, dans le nord du pays où nous
vivions, puis à Evine dans la capitale, et enfin à Gohardacht en banlieue de
Téhéran.
En mars 1988, pour la première fois, j’ai reçu une lettre
d’Ahmad. Il avait été libéré après presque 6 ans de prison et cherchait à
quitter le pays pour rejoindre la résistance. Il avait écrit : "Si je
voulais te raconter tout ce que j’ai vécu durant ces années, je pourrais écrire
des volumes, laissons donc le récit de ce voyage forcé et des douleurs endurées
pour un autre moment."
Moi, j’attendais son arrivée. Mais en été 1988, quand
j’ai lu des nouvelles sur le massacre, j’ai décidé d’appeler mon père. Il m’a
déclaré avec surprise : "Mais il n’est pas avec toi ? Il nous a dit
adieu pour aller te voir. Mais s’il n’est pas avec toi, alors où
est-il ?". Après mon appel, mon père est allé de prison en prison à
la recherche d’Ahmad. Mais il n’a rien trouvé, ni nom, ni trace, ni tombe.
En 1991, des agents des services de renseignement ont dit
à mon père qu’ils l’avaient exécuté à la prison d’Oroumieh, dans le nord-ouest
de l’Iran, mais ils le lui ont pas dit où ils l’avaient enterré. Ahmad avait
été pendu comme plus de 30.000 prisonniers politiques sur les ordres de
Khomeiny lors du massacre de l’été 1988. Vous pouvez imaginer mon immense
peine, qui ne m’a jamais quittée. C’est une plaie ouverte qui saigne encore.
Après 29 ans, nous n’avons pas pu faire notre deuil, car les bourreaux n’ont
pas remis la dépouille de mon frère, ni dit où il avait été enterré. Après 29
ans, justice n’a pas été rendue et les criminels sont encore aux pouvoir en
Iran.
Cependant, durant l’été 2016, la diffusion sur les
réseaux sociaux d’une bande audio bouleversante a levé le voile sur l’ampleur
de cette tragédie. Il s’agissait d’une rencontre le 15 août 1988 entre
Montazeri, à l’époque successeur de Khomeiny, et des membres de la
"commission de la mort", chargé d’appliquer le décret des exécutions
massives.
On entend Montazeri interpeller les responsables chargés
du génocide : "Le plus grand crime commis sous la République islamique,
pour laquelle l’histoire nous condamnera, a été commis par vous. Vos (noms)
seront gravés dans les annales de l’histoire comme ceux des criminels."
Quant aux membres de la commission de la mort, ils n’ont
toujours pas été punis et continuent d’occuper des postes clés : Le 8 août, le
président des mollahs Hassan Rohani a nommé Alireza Avaï, un responsable
impliqué dans le massacre de 1988 dans la province du Khouzistan, pour succéder
à Mostafa Pour-Mohammadi au poste de ministre de la Justice.
Pour Mohammadi était un membre de la "commission de
la mort" de Téhéran. On entend sa voix dans l’enregistrement mis en ligne.
Loin de faire preuve de remords, il a déclaré à l’agence Tasnim le 28 aout 2016
: "Nous sommes fiers d’avoir appliqué le commandement divin à l’égard des
hypocrites (les membres de l’OMPI)." Il vient d’être nommé conseiller du
pouvoir judiciaire !
Nayyeri, un autre membre de la commission de la mort, est
actuellement à la tête de la Cour spéciale chargée du clergé, et Raïssi a été
nommé par le Guide suprême à la tête de la puissante fondation Astan-e-Qods
après avoir été procureur général. Il a même été le favori du guide suprême à
la dernière présidentielle !
Dans un nouveau rapport publié le 2 août 2017, Amnesty
International écrit : "La publication de l’enregistrement audio a
déclenché une chaîne de réactions sans précédent de la part des dirigeants qui
ont dû admettre pour la première fois que les exécutions collectives en 1988
ont été planifiées dans les hautes sphères du gouvernement (…) Les défenseurs
des droits humains qui recherchent la vérité, la justice et la réparation pour
des milliers de prisonniers sommairement exécutés ou ayant disparu par la force
dans les années 80, doivent faire face à de nouvelles sortes de représailles de
la part des autorités. Cela comprend des proches des victimes, qui sont devenus
des défenseurs des droits humains par nécessité."
Amnesty International ajoute : "Aujourd’hui, nous ne
savons toujours pas combien de victimes ont été exécutées de manière
extrajudiciaire et où elles ont été enterrées en secret. Jusqu’à maintenant,
aucun dirigeant iranien n’a fait l’objet d’une enquête et n’a été traduit en
justice pour les exécutions extrajudiciaires. Les autorités ont mis en œuvres
différentes tactiques pour effacer les preuves des tombes collectives, comme
les passer au bulldozer, les transformer en décharges, les cacher en-dessous de
nouvelles tombes ou en coulant du béton par-dessus".
Pour raviver la mémoire de ces chers disparus, une
exposition a été organisée, vendredi 29 septembre, sur la Place de la Bastille
à Paris, à laquelle j’ai participé pour témoigner.
Le moment n’est-il pas venu de mettre fin à cette machine
de mort et d’exécutions en Iran ? En tant que victime du régime des
mollahs, au nom du sang versé innocent, je veux que justice soit faite. Il faut
briser le silence sur ce massacre et les Nations Unies doivent prendre les
mesures politiques et juridiques nécessaires pour poursuivre les dirigeants du
régime pour ce crime contre l’humanité.
En prison, mon frère écrivait des poèmes et je voudrais
terminer sur l’un d’entre eux :
Submergé par le malheur, l'Iran n’est pas réduit au
silence.
Dans notre longue nuit, partout coule le sang des
innocents.
Grâce à notre combat pourtant, demain le soleil se
lèvera.
Il ne faut pas dormir. Il faut agir.
Il faut prêter serment au nom du sang des innocents.
Il faut agir. Il faut agir.
Massoumeh
Raouf, ancienne détenue politique en Iran
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