L'indifférence de l'Occident
vis-à-vis des crimes historiques commis par l'Iran ont permis aux meurtriers de
mon frère de s'en tirer.
par Massoumeh Raouf 30 août 2017
International Business Times
Un jour froid de mars 1988, ma collègue est venue et m'a dit : "Massoumeh, Massoumeh, tu as une lettre".
Recevoir une lettre est courant chez
la plupart des gens, mais pas pour moi. Je suis une ancienne prisonnière
politique en Iran et avais été condamnée à vingt ans d'emprisonnement dans la
ville de Rasht dans le nord de l'Iran. C'est vraiment par miracle que
j'ai pu m'échapper de prison et franchir la frontière iranienne de façon tout à
fait rocambolesque. Il était très dangereux de m'envoyer une lettre à
cette époque de contraintes intenses menées contre les dissidents iraniens.
J'ai ouvert l'enveloppe avec curiosité.
J'ai été sous le choc dès les premières lignes ; c'était une lettre de
mon jeune frère, Ahmad. 'Ahmad ? Etait-ce vraiment possible ?'
Depuis des années j'attendais une
telle nouvelle. Ahmad avait été arrêté quand les gardiens de la
révolution du régime avaient saccagé notre maison en 1982, il avait alors 16
ans. Son crime était d'avoir participé à des réunions tenues par
l'Organisation des moudjahedine du peuple iranien (OMPI), le principal
mouvement d'opposition du régime. Après avoir été torturé sans merci, il avait
été condamné à cinq ans de prison. Il a d'abord été incarcéré dans la
prison de Rasht, puis ultérieurement dans celles tristement célèbres de Evin et
de Gohardacht.
Il a été maintenu en prison pendant
des mois après avoir purgé sa peine. Ses compagnons de cellule m'ont
rapporté des exemples de sa résistance et du niveau élevé de son moral.
Il a été relâché en février 1988.
Il a vite essayé de quitter le pays pour rejoindre l'opposition.
Maintenant j'avais sa lettre entre les mains. Il y avait écrit :
"« si je
voulais te raconter tout ce que j’ai vécu durant ces années, je pourrais écrire des
volumes, laissons donc le récit de ce voyage forcé et de ces douleurs endurées
à un autre moment.
Des mois ont passé et je restais dans
l'attente de son arrivée. Mais pourquoi n'avais-je aucune nouvelle de lui
? Pourquoi ne m'appelait-il pas ? Mon angoisse était profonde. J'avais le
sentiment diffus que quelque chose lui était arrivé.
A la fin du mois de juillet 1988,
l'ancien Guide suprême du régime iranien, Ruhollah Khomeini, a émis un décret
(fatwa) d'exécution des détenus politiques. Malgré la censure générale et
l'isolement de toutes les prisons, des informations en ont filtré hors d'Iran.
Des centaines d'exécutions avaient lieu chaque jour. Les pendaisons
étaient continues. Chaque information nouvelle m'arrivait comme un coup de
massue sur la tête. J'ai finalement appelé mon père un jour pour lui demander
s'il savait ce qu'était devenu Ahmad. Surpris, il m'a dit : "Mais il
n'est pas avec toi ? Il nous a tous dit au revoir avant de partir pour te
voir ! S'il n'est pas avec toi, alors ... ?"
Je me souviens encore du long silence qui
s'ensuivit, "s'il n'est pas avec moi, alors ... !".
L'appréhension de mon père était
malheureusement fondée. Il a commencé à chercher Ahmad d'une prison à
l'autre. Mais plus il cherchait, moins il trouvait. Pas un nom, un
signe, une tombe.
En 1991 on nous a fait
comprendre que mon petit frère Ahmad Raouf Bachari-doust, faisait partie des 30.000 victimes de la folie des
mollahs pendant l'été 1988. Pratiquement toutes les victimes, y compris mon
frère, étaient des partisans de l'OMPI.
Cette tragédie de l'été 1988 reste vivante
dans toute la société iranienne, dont notre famille. Vingt-neuf ans plus
tard, les autorités n'ont pas rendu le corps de mon frère à notre famille et
nous ne savons même pas où il a été enterré. Depuis 29 ans, mon père cherche
son lieu de sépulture.
Pourtant un nouvel espoir m'habite.
Depuis l'an dernier, une campagne
intitulée "Mouvement
pour la justice" menée en Iran répand le message des victimes.
Elle est partie d'un enregistrement audio d'une réunion tenue le 15 août
1988 entre Hossein Ali Montazeri, alors dauphin de Khomeini, et des membres du
"Comité de la mort". Il jette une lumière nouvelle sur ces
massacres.
Cet enregistrement a été rendu public après
28 années et a été un véritable choc pour le peuple iranien. Khomeini a
lui-même nommé des membres de la Commission de la mort pour envoyer des détenus
politiques comme mon frère à l'échafaud après des séances d'une minute de
tribunal.
Dans cet enregistrement, on entend
l'ayatollah Montazeri dire aux membres du Comité de la mort : "Le plus
grand crime de la République islamique, pour lequel l'histoire nous condamnera,
a été commis par vous. Vos noms figureront dans l'histoire sous le titre
de criminels."
Montazeri a été démis de ses
fonctions et est mort en 2009 alors qu'il était en résidence surveillée.
Les membres de la Commission de
la mort n'ont jamais été punis et continuent à occuper des postes clés.
Le 8 août de cette année, le président iranien Hassan Rouhani, que
certains en Occident continuent à qualifier de 'modéré', a nommé Alireza Avaie,
un autre auteur des massacres de 1988 dans la province du Khurzestan, ministre
de la justice.
Le précédent ministre de la
justice de Rouhani, Mostafa Pourmohammadi, était membre du Comité de la mort de
Téhéran. Il a été nommé conseiller auprès du responsable juridique du
régime.
Il peut paraître surprenant que des gens
qui étaient de très jeunes enfants ou même n'étaient pas nés en août 1988
saisissent toutes occasions pour participer au Mouvement pour la justice. Ceci
représente une impasse pour le régime des mollahs et toutes ses factions. Le 2
août dernier, Amnesty international a publié un rapport de 94 pages sur la mise
au silence des avocats des droits humains en Iran, insistant sur le fait que la
jeune génération veut connaître la vérité.
Comme l'a souligné Maryam Radjavi,
présidente du Conseil national de la résistance iranienne, l'indifférence
occidentale a renforcé les mollahs dans leur poursuite des menaces, des
contraintes et des tueries. Une mission d'enquête internationale aurait dû être
nommée depuis bien longtemps. C'est l'espoir minimum de mon père qui
continue sa recherche du lieu de sépulture de son fils.
La communauté internationale préfère-t-elle
user de la méthode douce avec l'Iran ? J'espère qu'elle saura tenir compte des
résultats décevants de ces trois dernières décennies.
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Massoumeh Raouf, ancienne détenue politique
en Iran, est membre du Conseil national de la résistance iranienne. Elle
vit exilée en Europe.
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