Une mission d'enquête internationale
indépendante est la première étape pour découvrir la vérité sur les exécutions en
masse de 1988 dans les prisons en Iran
par Massoumeh Raouf
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Arrêté
à 16 ans, mon frère a passé cinq ans dans les cachots des ayatollahs ; il a
ensuite été sauvagement exécuté à la prison de Orumiyeh dans l’ouest du pays, durant
les massacres de 1988.
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En
juillet 1988, des agents du Corps des gardiens de la République islamique
(Pasdaran) ont transporté les prisonniers politiques jusqu'aux collines
entourant le lac Orumiyeh et ont fait une véritable boucherie à l'arme blanche
telle que des couteaux, machettes, gourdins, cognées et haches.
Récemment, alors que je visitais une
exposition à Paris sur les victimes des massacres de 1988, une photo montrant
les visages des tueurs a retenu mon attention. Le visage méprisable d'une
personne qui, il y a 35 ans, m'avait "condamnée" à 20 ans
d'emprisonnement après une séance du tribunal de dix minutes. Cela m'a
ramenée vers mon passé. La photo était celle d'un mollah nommé Moghadassi Far,
juge religieux de la ville de Rachte et l'un des dirigeants du "Comité de
la Mort" de cette ville importante située sur les bords de la mer
Caspienne. Il a pris part au massacre de plus de 30.000 prisonniers
politiques en Iran et est maintenant un responsable de haut rang au sein du
régime actuel de ma patrie.
Je peux encore entendre le rire terrifiant
des tortionnaires. Ces criminels qui nous disaient : "maintenant vous
êtes en notre pouvoir, nous ferons de vous tout ce que nous
voulons." J'ai plusieurs fois entendu les bourreaux affirmer que
"s'il devait y avoir un soulèvement populaire, vous seriez les premières à
être tuées". Les gardiens de la prison de Rachte hurlaient à nos
oreilles : "Sortez de votre esprit que vous allez être victorieux et que
vous sortirez en héros de la prison. Seuls vos cadavres quitteront la
prison."
Ce bourreau, Mollah Moghadassi Far, en plus
de me "condamner" fit plus tard incarcérer ma mère malade et mon
frère alors âgé de 16 ans. Le "crime" de ma mère était d'avoir
des enfants qui militaient au sein de l'Organisation des Moudjahidine du Peuple
d’Iran (OMPI) et pour son soutien à ce mouvement.
Moghadassi Far dit à ma mère : "Si
j'arrête votre fille à nouveau, je lui arracherai personnellement le
cerveau." La raison de sa haine envers moi était que j'avais réussi à
m'échapper de la prison et que j'étais prête à témoigner contre les crimes
commis derrière les hautes murailles des prisons du régime.
Ma mère est morte peu de temps après avoir
été relâchée.
Mon frère de 16 ans, Ahmad Raouf Bashari
Doust, a été arrêté par des agents des Pasdaran lors d'une descente dans notre
maison. Il a passé cinq années dans les cachots des ayatollahs puis il a
été sauvagement exécuté dans la prison de Orumiyeh durant les massacres de
1988. Sa mort n'est qu'un exemple des crimes que le vrai Parrain de « l'Etat
islamique » commit en Iran il y a 29 ans. En juillet 1988, des membres
du Corps des gardiens de la République islamique (Pasdaran) ont transporté les
prisonniers politiques, la plupart membres de l'OMPI, jusqu'aux collines qui
entourent le lac Orumiyeh en utilisant deux minibus. On avait dit aux
prisonniers qu'ils allaient être transférés à la prison de Tabriz. Des
agents des Pasdaran avaient auparavant isolé le lieu d'exécution dans les
collines ; ils étaient armés de diverses armes blanches telles que des
couteaux, des machettes, des gourdins, des cognées et des haches. Les
prisonniers étaient enchaînés et menottés ; ils ont été littéralement massacrés
par les agents des Pasdaran. Les villageois qui entendirent les
hurlements des prisonniers de l'OMPI en train d'être sauvagement tués se
dirigèrent vers les collines mais ont été arrêtés et tenus éloignés par des
membres des Pasdaran, eux lourdement armés.
Je me suis souvent demandé si mon frère
faisait partie de ceux qui ont été si bestialement exécutés sur ces
collines. La réponse est très probablement oui. Mon cœur saigne à
la seule pensée d'une mort aussi horrible et mon corps entier se paralyse de
souffrance. Je ne veux pas croire que c'est ainsi que mon frère est mort mais
les faits me disent le contraire. Bien des années après l'exécution de
mon frère, alors que mon père cherchait le lieu de son exécution, des
responsables de ces crimes lui ont dit qu'il avait été "exécuté à Orumiyeh."
Mais la manière, le pourquoi et le lieu où son corps a été enterré sont encore
des questions restées pour moi sans réponse. Comme elles restent
sans réponse pour les frères, les sœurs et les proches de tous ceux nombreux
qui ont été les victimes des massacres de 1988 et ont été enterrés dans des
fosses communes.
Cela s'est passé il y a 29 ans ; les gens
doivent connaître les détails de ces massacres. Le monde est resté
silencieux sur ces faits et, afin d'apaiser les ayatollahs, a fermé les yeux
sur leur plus grand acte criminel. Aucune enquête internationale
indépendante sur ces massacres n'a encore été menée.
Mais cette année, Asma Jahangir, la
rapporteure spéciale sur la situation des droits humains dans la République
islamique d'Iran a brisé ce silence de 29 années aux Nations Unies et a couvert
ces massacres de 1988 dans son dernier rapport. La rapporteure spéciale y
écrit : "Entre juillet et août 1988, des milliers de prisonniers
politiques, hommes, femmes et adolescents, auraient été exécutés suite à une
fatwa (décret) émis par le Guide suprême, l'ayatollah Khomeini. ... (parmi les
responsables du régime se trouvent) de hauts fonctionnaires qui avaient
appliqué et défendu ces exécutions, dont l'actuel ministre de la Justice, un
juge actuel de la Cour suprême et le chef d'une des plus grandes fondations
religieuses du pays et candidat aux élections présidentielles de mai."
Le rapport mentionne encore que
"quelques autorités cléricales et le chef du judiciaire admettent que des
exécutions ont eu lieu et, dans certains cas, les défendent."
Selon ce rapport, "les familles des
victimes ont le droit de connaître la vérité sur ces évènements et le destin de
leurs êtres chers sans risquer de représailles. Elles ont droit à un
recours qui comprend le droit à une enquête sur les faits et la divulgation
publique de la vérité ; et droit à réparations. La rapporteure spéciale
appelle donc le gouvernement à s'assurer qu'une enquête approfondie et
indépendante sur ces évènements est menée."
Maintenant que la spécialiste de l’ONU a
fait mention des massacres de 1988, il est temps pour les Nations Unies et ses
agences pertinentes d'examiner en profondeur cette question et de révéler la
vérité de façon à ce que les exécutants de ces crimes soient déférés devant la
justice. La première étape consiste en l'établissement d'une mission d'investigation
internationale indépendante. Ensuite, la question devra être portée par
le Conseil de sécurité des Nations Unies devant la Cour criminelle
internationale (CCI) de sorte que les hauts responsables du gouvernement
iranien qui ont pris part à ces massacres soient présentés à la Cour.
Comme Asma Jahangir l'a écrit, nous avons
le droit de connaître la vérité. Faire appel à la justice pour les
victimes des massacres de 1988 n'est plus une question qui nous est spécifique,
nous les familles des victimes et les survivants et témoins de ce Crime contre
l'humanité en Iran. Il s'agit d'un mouvement national et fait
partie de l'aspiration du peuple iranien, à la fois à l'intérieur et à
l'extérieur du pays.
https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/une-mission-d-enquete-197955
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